René SCHWOB (1895-1946)
- Siècle : 20e
- Point de départ : israélite.
- Préoccupation : gravement blessé en 1914, il entend une voix lui dire : «Tu seras sauvé, si tu m'aimes.» Pendant 12 ans cette phrase va le poursuivre sans qu'il veuille comprendre.
- Porte d’entrée dans la vraie religion : l'Imitation de Jésus-Christ
René Schwob est né à Paris, 19 avril 1895, d’une famille israélite d’origine alsacienne. Élevé dans l’aisance, il fait au lycée Janson-de-Sailly de sérieuses études. À 13 ans, à sa mère qu’il invite à jeûner pour le Yom Kipour, il répond : « je n’ai pas la foi, je ne jeunerai pas.»
Septembre 1914 : « tu seras sauvé si tu m’aimes »
La guerre éclate, il a 19 ans. Sans attendre l'appel de sa classe, il s'engage et est incorporé dans un régiment d'infanterie. Quelques jours après, en septembre 1914, son régiment est décimé. Lui-même est laissé sur le champ de bataille, gravement blessé. C'est alors que se produit l'événement qui décidera de sa vie
J'entendis une voix me dire cette inoubliable parole : « Tu seras sauvé, si tu m'aimes.» Comme il m'était impossible d'admettre qu'il pût s'agir d'un autre salut que celui de mon corps, par orgueil encore, et par bonne foi, je refusai d'incliner ma pensée. Si bien que, pendant douze ans, cette mystérieuse parole me poursuivit sans que je consentisse à m'y rendre. J'étais dans une parfaite inconnaissance de toute réalité spirituelle. Tel j'étais, tel je me glorifiais d'être.
Le soldat ne se remettra jamais complètement de ses blessures; toute sa vie sera celle d'un malade, d'un « grand douloureux ».
La guerre finie, il se présente avec succès au concours du commissariat de la marine, fait un an de stage à Brest part pour de longs voyages en Extrême-Orient.
Certes, René Schwob est, dès ce moment, plein de bonne volonté, il s'interroge, il cherche des miracles tangibles, épie le tremblement de ses impulsions les plus intimes.
En 1922, sans le désirer vraiment et même à contrecœur, à l'incitation d'un ami qui l'a assuré qu'il en tirerait merveilles, il réclame le baptême. Le prêtre auquel il s'est adressé trouve sa curiosité insuffisante et prématurée et le lui refuse. Il est ravi de ce refus qui dégage sa responsabilité et reprend sa marche difficile.
Un voyage au Japon, en 1925, lui permet de rencontrer Paul Claudel. Il lui fait part des difficultés auxquelles il se heurte: il ne comprend rien à la foi, trouve les dogmes absurdes. Dans le même temps, à Saïgon, il entre dans une église à l'heure de la récitation du chapelet. Il s'étonne de cette morne répétition indéfinie qui lui semble sottise, mal faite pour louer Dieu, se lève avec un mépris irrité et quitte l'église en riant. L'année précédente, assistant par hasard à la messe à Vérone, il n'y avait vu rien de plus qu'une comédie.
Un baptême « sans plaisir »
Voici l’été 1926. Son état ayant empiré, René Schwob est rapatrié. En route, il contracte une pleurésie très virulente qui met ses jours en danger. Il éprouve la sensation physique de sa damnation ; lui que n’ont encore effleuré ni l’idée de son salut, ni la notion du péché, il songe de nouveau au baptême.
Avant son départ de Chang-Haï, René Schwob avait reçu de la supérieure de l’hôpital une petite médaille miraculeuse – celle même du P. Ratisbonne. Il la prend et, devant elle, s’engage à devenir chrétien s’il est guéri.
Il guérit, rentre en France rencontre de nouveaux empêchements du même genre que celui de Colombo ; il ne s’arrête pas. Un seul état l’attire : la sainteté. Qu’entend- il parle là ? Un état de lutte contre ses propres tendances :
Si je tends à présent vers l’idéal catholique, c’est que nul autre ne m’est plus étranger. Je choisis les moyens catholiques parce qu’ils me paraissent les plus efficaces et l’idéal catholique parce qu’il est le plus exigeant. La région catholique, à l’opposé de mes longues coutumes et me forçant à les redresser, c’est la raison la plus forte de l’amour que j’en ai.
Nous le voyons, en août 1926, redouter un baptême qu'il désire : bien que librement décidé, il lui semble de plus en plus dépasser la force dont il dispose.
En novembre, enfin, il reçoit « sans plaisir » ce baptême, des mains du père Gillet qui a consenti, cette fois, à beaucoup abréger les examens indispensables dont le peu de succès, la première fois, avait dicté sa réponse négative.
Schwob est-il donc arrivé au terme de sa quête, a-t-il trouvé la foi et, avec elle, la sérénité ? Il s'en faut de beaucoup. Le jour même de son baptême, il précise ce sur quoi il compte, ce qu'il attend:
Que la religion parvienne à me graver dans le cœur que tout être est œuvre divine, donc admirable. - Justifier enfin mon enthousiasme. - Fournir un objet à mes curiosités passionnées.
Jusqu'à maintenant, voyageur, il a été absorbé par les terres les plus étrangères, par toutes sortes de dissipations, y compris la maladie, les tentations charnelles et même une période de haine et de cruauté envers qui l'aimait trop à son gré - c'était sa mère ...
Il s'est attardé aux séductions - et au premier rang celle de Gide - les plus aptes à lui donner le change; il a vécu à la surface de lui-même.
A plusieurs reprises, il a retracé les étapes de son Itinéraire vers l'Église et l'histoire de ce désir de conversion si surprenant, au premier abord, chez quelqu'un pour qui toutes les vérités catholiques étaient lettre morte.
Plus encore. Ne nous a-t-il pas confessé:
Je le dis avec simplicité: bien que je ne dévorasse point alors les petits enfants, j'étais comme tant d'autres qui l'ignorent, tout à fait inhumain. Si occupé de mon plaisir, si profondément étranger à l'amour, que je ne savais prendre pour règle de ma vie que mes insatiables désirs; m'étonnant seulement de me sentir en moi-même si à l'étroit.
Ma plus sûre unité, ce qui la constituait, c'était le fétichisme du désordre. J'y nageais - et non sans plaisir ...
L'inquiétude était la raison de ma vie. L'irrésolution devant mes propres goûts, l'absence de motifs d'y résister, un état de liberté, si l'on veut, mais où je vois aujourd'hui le contraire de la liberté (sans le moindre soupçon de la simple existence du péché) - un état de nature où je plongeais avec un entier abandon, c'est à ses inconséquences que je me réduisais. [ ... ]
Enfin, de cette solitude, qui d’abord m’avait fait tant souffrir, je finis par m’éprendre jusqu'à oser écrire ceci dont je me réussi plus effacer l’effroi de ma mémoire : « Je n’aime personne et moi-même.»
Il a fallu pour qu’il arriva au baptême une longue suite de circonstances où, tout en lui échappant, la vérité ne cessait de s’engendrer en lui ; il a fallu aussi, avec la grâce, l'amitié et les prières de ceux qui prenaient en pitié cette « longue, aveugle et douloureuse inquiétude, nuit trouble » où il cherchait à tâtons « un Dieu » qui lui convînt.
Et le baptême lui a été conféré au moment où, comme il se le disait avec un indulgent scepticisme, il allait pouvoir sacrifier six mois à chercher Dieu: « c'est Dieu, avoue-t-il, qui devait m'emporter dans de mystiques incendies. »
La foi par l'eucharistie
Une nouvelle expérience commence.
René Schwob est à la veille de subir une opération: « Après tant de mois, voici l'épreuve arrivée. Dans la même semaine, le nettoyage de l'âme, celui du corps. » En ces jours de solitude, il lit du Giraudoux, du Gide, mais il a aussi un livre qui ne le quitte guère, où, constate-t-il, toutes ses tendances, tous ses besoins trouvent leur plus exacte traduction, c'est l'Imitation de Jésus-Christ et il note: Croire ne me semble plus si difficile; et surtout l'obligation de ne se considérer que comme un obstacle au désir de la perfection comble précisément mon attente. Être mon propre adversaire et le vaincre.
Et quelques jours plus tard, en pleine convalescence : Sans avoir de foi précise, partout je ne recherche qu'aliments pour la nourrir. Je ne suis catholique que de nom et de volonté et pourtant ne me réjouis que de ce qui magnifie le catholicisme.
Curieux converti qui a reçu le baptême sans une véritable adhésion du fond de son être aux dogmes essentiels - et qui n'accepte ceux-ci, les yeux fermés, qu'en pensant qu'il y est obligé par son vœu.
Les mois qui suivent vont marquer pour lui la découverte de l'Église, la croissance du Christ et l'invasion de la grâce. Il compte avec la Providence et sur elle. Le temps n'est plus où ses répugnances à croire en la possibilité d'une Providence lui étaient preuve suffisante de son inexistence.
Ce nouveau baptisé qui n'a guère eu, jusqu'à présent, en raison de sa vie errante, de contacts avec l'Église et les prêtres, s'isole de nouveau et va, après son opération, dans le Pays Basque.
Là, il se prête généreusement, avec une bonne volonté sans réserve, à l'action de l'Esprit-Saint qui doit réduire les préjugés dont l' « avaient encombré une philosophie artificielle et l'entraînement d'un milieu qui ne juge la religion qu'à travers les pratiques d'une bourgeoisie sordide », à porter au plein jour la foi qui sommeillait dans ses ténèbres les plus profondes et à réorienter sa vision du monde et des choses.
Étape décisive que celle-là.
René Schwob se croit guéri. Il ne sait pas que la maladie réapparaîtra bientôt sous une autre forme, mais cette illusion fait tomber sa réserve. Il n'aurait jamais consenti, en effet, à se livrer à des pratiques religieuses persistantes si elles avaient pu lui paraître le déguisement hypocrite de ses faibles vœux de guérir: sa vanité s'y opposait comme à un marchandage et il ne voulait pas davantage d'un pis-aller de moribond. Il a une exigence plus haute et plus totale.
L'histoire de son baptême lui paraît « incroyable ».
Il ne croit «spontanément» ni au Christ, ni à la rédemption, ni à l'immortalité de l'âme et ne s'arrête pas à ce qu'il appelle un « scrupule ».
Il est également impossible pour moi de dire que je ne crois pas en la rédemption ou de dire que j'y crois. De même de l'immortalité ou du néant. Je ne nie pas la solution positive, je suis dans l'incertitude de celle qui se réalisera ultérieurement. Et si les plus grands croyants n'ont pas cette incertitude, c'est qu'à la volonté de foi que j'apporte, ils joignent le bonheur de la foi.
Mais sa volonté est ferme:
Ce n'est donc pas l'incertitude sur Dieu ou l'immortalité qui peut m'arrêter. Il faut que je pousse ma patience jusqu'au moment où Dieu peut-être joindra à ma volonté de croire, à la nécessité reconnue par moi de croire, le bonheur de croire. En attendant, du fait que je reconnais la supériorité sur tous les autres des enseignements de l'Église, il suffit que je les accepte sans chercher, ce qui serait présomption et folie, si je crois ou si je ne crois pas. Il faut reconnaître ce qui me fortifie. Cela seul est indubitable. J'accepte tous ses dogmes. Je les accepte sans croire et sans nier ; dans une incertitude que je reconnais être le fait de ma seule faiblesse et de mon inévitable incapacité à résoudre ce qui n'est pas exclusivement une expérience personnelle. Ainsi l'incertitude ne peut m'empêcher de pratiquer la religion.
Et voici, après celle de son baptême, l'histoire « plus incroyable encore» de ses « communions quotidiennes accomplies comme de très hautes et nécessaires formalités, mais sans foi, du moins consciente, je ne dis pas seulement en la présence réelle - jusqu'en la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ. »
Une ardente loyauté suppléa à ce point à mes manques que je crus que les choses devaient se passer ainsi. Et ma passive obéissance, durant l'incompréhensible suspension de mon esprit critique, me tint lieu de la lumière qui me manquait.
C'est au cours de ces communions inconscientes que me convertirent les grâces sensibles et l'illumination dont peu à peu l'eucharistie inonda mon cœur stupéfait.
De sorte que, par une bienheureuse absurdité, je commençai de croire en la présence réelle avant de penser que Jésus pût être le Fils de Dieu; et qu'aujourd'hui, au moindre manque de plénitude dans ma foi, il me suffit encore de regarder l'hostie pour que se ravive le miracle de sa toute-puissance muette et qu'elle me rétablisse dans son indubitable vérité. Ainsi, au plus velléitaire des êtres, et qui se plaisait à changer selon l'éclairage des vérités de chaque jour, depuis tant d'années, la certitude, grâce à l'hostie, n'a pas manqué un seul jour.
Un matin, il réalisera l'étrange succession de ses démarches vers Dieu:
C'est de ma joie que j'ai conclu au bienfait de la sainte communion, de celui-ci à la divinité du Christ et du Christ à la grâce infinie de sa Mère. Au lieu que je me rende bien compte que c'est le progrès inverse qu'en général suivent les âmes. Elles se persuadent d'abord des mystères et en tirent toutes leurs joies. C'est aux fruits que j'ai reconnu l'arbre, sa tige et ses racines.
Il s'est fait une loi de la communion quotidienne; sans elle, il ne peut rien: « J'ai besoin en ce moment de l'hostie comme de manger. »
Au bout de deux mois, il enregistre:
Quel chemin parcouru ! Je découvre un pays que je ne soupçonnais pas et déjà m'y trouve à l'aise. C'est comme si Dieu avait attendu au seuil de mon âme que je lui ouvre pour s'y précipiter.
Au long de ce chemin, il fait plusieurs découvertes. A la première grand-messe à laquelle il assiste, il a « pour la première fois, l'impression du surnaturel révélé, oui, la manifestation presque évidente de l'invisible - la sensation de la Providence parmi nous et en moi ».
Il découvre aussi la saveur des larmes: il pleure en assistant à la messe, en regardant l'hostie; le voudrait-il qu'il ne peut se maîtriser et il lui arrivera d'être à ce point bouleversé et sanglotant qu'il ne pourra regagner sa place en revenant de la table sainte. Ce don des larmes, - un don viril chez cet homme marqué par la rude discipline de la mer -, il l'aura jusqu'à la fin ...
Quelle délivrance, la confession
Il découvre aussi la confession.
Se croyant condamné, sur le bateau qui le ramenait d'Extrême-Orient, il avait rédigé, on le sait, une confession et s'en était trouvé plus allègre. Mais voici que, pour la première fois, il va à confesse dans une église. Il venait de dire au prêtre avec quelle fièvre il luttait en vain contre lui-même:
« Alors, tandis que, d'un accent de profonde piété, il prononçait les formules d'absolution, je l'imaginais dans l'obscurité du confessionnal s'acharnant pour me décharger de mes péchés, oui, vraiment, pour me désenvoûter, prenant à cœur de bien répondre au recours que je venais d'avoir à lui. Et pour terminer [il] me dit ces paroles admirables et qui n'étaient pas seulement dans sa bouche paroles vaines, paroles qui m'étaient dites pour la première fois: « Allez en paix, mon enfant, et priez pour moi. »
Religion surprenante qui permet au confesseur de solliciter la charité de celui qu'il vient d'absoudre.
Une autre fois, il dira: « Voilà le miracle de la confession, d'être un savon qui ne laisse aucune tache après lui. » Il fera encore cette constatation:
Aujourd'hui, ce nouveau péché m'affecte d'une douleur plus forte, mais épurée du désespoir. Le remède est auprès, qui m'empêche de me décourager. Le propre de l'enseignement du Christ, c'est de nous donner la force de reprendre notre effort sans lassitude, sans nous laisser affecter par les obstacles de notre route. Oui, malgré mes turpitudes et ma grande lâcheté, je vis le christianisme incorporé jusqu'à la moelle. [ ... ]
J'ai l'impression d'une délivrance surnaturelle. Le jour après la percée du tunnel, le jour qui rend tout d'une éberluante simplicité.
Le voici au terme de ces longs mois d'isolement. Il a découvert « la vérité de la grâce de Dieu par l'eucharistie, la possibilité d'élargir et de sanctifier sa vie par cette notion de Dieu en soi que Jésus seul et l'hostie où il réside sont susceptibles d'engendrer ».
Et, au matin de Pâques 1927, le journal de sa conversion se clôt par ces lignes:
Religion non de la souffrance, mais de la joie.
Religion de la joie difficile et qui exige de la volonté de l'homme qu'elle soit égale à son destin.
Qu'est-ce qu'un converti ?
Nous voici en présence de René Schwob converti. Le pas décisif est franchi et bien franchi, pensera-t-on. Ce serait aller trop vite : une conversion est-elle jamais achevée, qui se confond avec la marche difficile vers la sainteté et un converti peut-il - comme tout chrétien - être jamais, ici-bas, un homme arrivé ? René Schwob le savait, lui qui, cherchant précisément à analyser ce qu'est un converti, le faisait en touches successives et comme par approximations:
Un homme qui peut être encore menacé par son triste passé, mais à qui Jésus a donné la volonté de se relever à chaque chute, - un homme très lâche, mais qui, maintenant du moins, se connaît tel, et qui rachète cette lâcheté par l'humiliation et le mépris de soi, voilà, quand il n'est pas un saint, ce que peut être un converti. C'est nécessairement un homme aux yeux duquel s'est dévoilé l'amour et qui, dorénavant, jusque dans ses trahisons, ne peut plus penser et agir comme si cet amour n'était pas. En son sens le plus élémentaire, la conversion, c'est la révélation accordée à un homme qu'il lui faut ne plus prendre son plaisir pour règle de conduite ni pour critérium de la vérité, quand même continuerait à peser sur lui l'entraînement de ses longues erreurs.
Itinéraire d'un juif vers l'église (SPES)
Moi juif Livre posthume (Plon et Nourrit, 1928)
Ni Grec, ni juif (Plon et Nourrit, 1931,319 p.)
D’après Le sel de la terre numéro 66, automne 2008
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