André LEVET (1932-)
- Siècle : 20e
- Point de départ : gangster, après une enfance très difficile, athée.
- Préoccupation : s’évader de prison.
- Porte d’entrée dans la vraie religion : un rendez vous avec Jésus dans sa cellule, à 2 heures du matin.
Enfance et prison
Je suis né dans une famille athée. Je n’ai jamais entendu parler de Dieu, et comme cadeau d’anniversaire j’ai eu la guerre. Le foyer a éclaté comme un obus. À la fin de la guerre, quand mon père reviendra des camps de concentration, il essaiera de refaire un foyer. Mais je ne pourrai pas accepter qu’une autre femme que ma maman prenne la place.
Et alors, je vais fuguer du côté de Marseille, décharger des camions sur les quais de la Joliette. Et là, la police va m’arrêter pour me rendre à mes parents. Et dans cette attente, on va tout bonnement me mettre en prison. Eh bien, je puis dire que là, j’ai été à bonne école, à l’école du vice. Et quand je serai rendu à mes parents, je vais fuguer, non plus pour aller travailler sur un quai de Joliette, mais pour mettre en pratique ce que j’ai appris dans ce centre de mineurs. Et alors va commencer une vie de délinquant et à l’âge de 15 ans, je serai condamné jusqu’à ma majorité, 21 ans, pour avoir fait une première attaque à main armée.
Pour échapper à ces maisons de correction, bagne pour enfants de l’époque, on nous donnait à l’âge de 18 ans à choisir, car il y avait la guerre d’Indochine et de Corée. Je me suis engagé, j’ai été blessé et rapatrié en France. Et l’armée, avec une pension dérisoire, me renverra vers mon trottoir. Et alors, avec des amis, je vais mettre en pratique ce que j’ai appris, et alors va commencer une vie de grande délinquance. Je vais commencer les attaques de banques, de caisses d’épargne et autres….
Rencontre avec un curé
Je sauterai des années de cette vie, pour arriver du côté de Laval, dans la Mayenne, en 1960. Là, je suis venu, faire une affaire, comme à l’habitude, avec mes amis. Et sur un trottoir opposé, il y a un homme, bizarrement vêtu avec une grande robe noire. Et je dis à mes amis : Qu’est-ce que c’est que ce pélandron ? Est-ce un homme ou une femme ? Mon ami me dira : Va lui demander, je crois que c’est un curé. Je vais traverser la rue et je vais m’adresser à cet homme en lui disant : Qui tu es, toi, un homme ou une femme ?
Et il va me regarder droit dans les yeux et il me répondra : « Je suis un serviteur de Dieu, et je n’ai qu’un patron, c’est Dieu ». Car il a vu effectivement mes mauvaises intentions en traversant ce trottoir.
Il va me donner son adresse et il me dira : « Si un jour tu as du temps, viens me voir. » Je viendrai le voir ! Entre lui et moi, il va y avoir une longue... je dirais une amitié. Il voudra parler aussi un peu de son Dieu, mais je dirai toujours : Un Dieu qu’on ne voit pas, je ne peux pas y croire. Moi, les banques que j’attaque, je les vois, là au moins j’y crois. Il me donnera de bons conseils que je ne mettrai pas en pratique, et bien des années après je serai arrêté. Tout ce qui avait bien marché, ce qui était bien huilé va se détraquer, et je vais être arrêté. Je ne suis pas resté longtemps en prison car j’ai beaucoup d’amis à l’extérieur et je vais m’évader une première fois, rejoindre des amis en Amérique du sud, et mettre sur pied un trafic de drogue.
3 fois évadé, 3 fois repris
Quand je reviendrai dans les pays d’Europe, le désir me prendra de passer voir des amis en France et je serai arrêté. Et de nouveau je vais m’évader, et cela va durer trois fois. Alors l’administration pénitencière au ministère va dire : Il faut neutraliser ce fauve. Je vais comparaitre devant une cour d’assise, où je serai condamné à 15 ans de réclusion criminelle.
Je tenterai encore de m’évader en creusant un tunnel, et puis je suis arrivé à Château-Thierry. Château-Thierry, c’est la centrale qui accueille les détenus comme moi, un peu fous, rêvant de liberté et d’évasion. Le directeur, monsieur Soulier me dira tout bonnement : « Ici, tu marches ou tu crèves. » Et moi, en guise de réponse je lui retournerai son bureau sur la tête.
Là, dans cette cellule, je vais rester de longues années. Mais il y a quelqu’un qui me suit dans cette marche, c’est mon bon curé. Il m’écrit une lettre « André, pense à Dieu. » Et il me laisse avec ce point d’interrogation. Sur une autre lettre il me dira : « André, Dieu est dans ta cellule. »
Et sur une autre : « Dieu existe. » Et tous les mois il y aura comme ça quelque chose, il ajoutera même : « Dieu est bon. » Alors là, je vais bondir en disant : « Tu sais, si Dieu est bon, comment se fait-il que je puisse attaquer des banques ? Comment se fait-il qu’il y a des gens qui font la guerre ? Et comment se fait-il que des gens meurent de faim ? Et ce bon curé me répondra tout bonnement : « C’est toi, André, le responsable de tout ça. »
Eh bien, effectivement, il avait bien raison, mon bon curé, j’étais bien responsable de tout ça, mais non pas seulement Levet André, mais les hommes du monde entier sont responsables de tout ça. Car il est vrai que Dieu est bon. Dans son infinie bonté il nous a donné un commandement : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » Nous allons nous faire la guerre, on va affamer des peuples et pourtant Dieu nous dit de nous aimer.
Ce bon curé, à qui je disais : « Ici je tourne en rond dans cette cellule, je n’ai que trois livres à lire », il va me dire : Je vais t’envoyer un gros bouquin. Ce bouquin, tu pourras le lire les jours de détention, tu pourras le lire aussi quand tu seras libre, et il avait ajouté, chose étonnante : tu pourras le lire aussi quand tu seras mort. Alors là, j’ai dit : Il est fada, ce curé, qu’est-ce que je peux lire quand je serai mort ? Et ce bouquin va arriver : c’étaient quatre gros Évangiles reliés.
Mon curé me dira : « Est-ce que tu l’as ouvert, ce bouquin ? » Je dirai : « Non je l’ai pas encore ouvert. » Il m’avait dit aussi : « Tu pourras l’ouvrir comme ça, n’importe où. » Alors je me suis dit : Tiens, un livre qu’on ne lit pas de la première page à la dernière : bizarre !
Je commence à lire l’Évangile.
Mais un jour, effectivement, je vais l’ouvrir, ce gros bouquin. Ce que je dis là en peu de temps, a duré des années : 10 ans. Je vais l’ouvrir la première fois, ce livre ; je vais tomber sur un beau passage : les noces de Cana. C’est un grand banquet. Ils ont tellement bu, ils n’ont plus de vin. Et là, il y a une dame, Marie qui s’adresse à son fils Jésus, et qui lui dit : « Tu sais ils n’ont plus de vin. » Jésus dit : « Laisse-moi tranquille, mon temps n’est pas venu. » Et cette maman confiante s’adressera aux serviteurs, aux gens qui sont là et leur dira : « Faites tout ce qu’il vous dira. » Effectivement, Jésus fera apporter les outres de pierre de l’époque, les fera remplir d’eau, et il dira : « Portez ça au maître de maison. » Et quand ce maître de maison va goûter cette flotte, il va s’écrier : « Comment se fait-il que vous servez le vin le meilleur en dernier ? » Alors là je me suis dit : mon curé il a raison, ce bouquin il est vachement chouette ! De l’eau, du vin ! Ça porte à sourire, mais à l’époque, moi, je ne souriais pas et en toute sincérité je me suis tourné vers mon petit robinet et je l’ai ouvert et j’ai dit : « Mec, fait couler du vin. » Il y a que de l’eau qui a coulé. Et quand j’ai dit ça à mon curé, il m’a dit : « Tu lis mal, André ; c’est pas tout à fait ça. » Et je l’ouvrirai encore, ce bouquin, je tomberai sur la Samaritaine, tiens encore une histoire d’eau. Mais là, c’était de l’eau de vie, pour moi c’était de la gnole. Et encore après, ça sera Jésus marche sur les eaux. Tiens, chapeau, il marche sur l’eau. Et puis je l’ouvrirai encore : je tomberai sur Jésus guérit les malades. Alors, à mon bon curé, je lui disais : «Il est médecin, ton Jésus. » Plus loin, les paralytiques marchent, les aveugles voient, je dirai : « Mais il est chirurgien, ton Jésus. »
Et alors, je tomberai sur le passage de Lazare. Tiens, même les morts il les fait ressusciter, ce Jésus. La sœur du mort dira même : « Il sent déjà ! » Et Jésus dira : Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. Ce qui m’avait à l’époque touché, c’est que, à l’instant où ce Jésus allait ressusciter son ami Lazare, eh bien ce Jésus pleura. Et il criera d’une voix forte : « Lazare, sors. » Et ce Lazare qui était mort, de mort qu’il était, il sera vivant. Ce bouquin, je vais l’ouvrir encore une fois, avant ma grande rencontre, et quand je suis tombé sur cette histoire très longue et très triste, alors je me suis posé des questions et j’en poserai beaucoup à mon bon curé.
Ce Jésus, eh bien on l’a arrêté. Ce Jésus, on va le frapper, on va lui donner des coups, on va lui cracher dessus, et il devait n’être que plaies et que bosses et que sang. Et qui plus est ce Jésus on va le mettre en parallèle avec un bandit, à savoir des deux qui sera libéré ou condamné à mort. Hélas, cette foule hurlante va demander la libération du bandit et va demander la condamnation à mort de ce Jésus, pour tout le bien qu’il avait fait, car autant que je me souvienne, à chaque passage que j’avais ouvert de ce gros bouquin il n’y avait que des belles choses, il ne parlait que de l’amour, que de fraternité.
Eh bien, pour tout cela ils te l’ont cloué sur une croix. Et à côté de lui, sur deux autres croix, il y a deux bandits… de mon espèce ! Un de ces bandits va l’insulter, l’autre va le reprendre : « Ne crains-tu pas la colère de Dieu ? Pour nous c’est justice, mais lui il n’a rien fait de mal. » Alors je me suis dit : Mais oui, c’est justice. Moi aussi je suis ici en prison. Il est normal que j’y sois, car j’ai commis des faits contraires aux lois des hommes, mais ce Jésus, lui, il n’a rien fait de mal. Et alors, j’ai écrit à mon curé en lui disant : Je ne peux pas croire à cette histoire, car c’est pas possible qu’on puisse faire tant de mal à quelqu’un qui a fait tant de bien.
Ce Jésus je ne lui en veux pas, au contraire, je l’aime pour tout le bien qu’il a fait, mais je hais tous ceux qui lui ont fait du mal. Et mon curé dira : « André, ouvre encore ce bouquin, tu n’es pas loin de la vérité. »
Rendez-vous à 2 heures du matin
Mais il me faudra encore attendre longtemps. Un jour que je suis là dans cette cellule, que je tourne en rond, que je n’ai plus de possibilité d’évasion, alors je me suis souvenu de ce bouquin. Et je vais m’adresser à ce Jésus en disant : « Si tu existes vraiment, si tu fais toutes les choses qui sont écrites là dans ce bouquin, eh bien alors, viens me voir ; je te pose un rendez-vous, viens à deux heures du matin, on sera tranquille, on pourra discuter, et si t’es si costaud, moi je ne te demande qu’une chose : ouvre mes barreaux que je me casse. » Ce Jésus que je voulais comme complice pour une évasion, eh bien, ce Jésus va répondre et je vais bien m’évader avec lui, tout en restant entre quatre murs. Voici comment.
Ce 11 juin, dans la nuit du 11 juin au 12 juin, je vais m’endormir comme à l’habitude face à ces barreaux, car je regardais toujours les barreaux avant de m’endormir, en espérant un jour les voir sauter. Et là, je vais m’endormir d’un sommeil profond, sans me souvenir de ce que j’ai demandé le matin. Et dans cette nuit, je vais être secoué, je vais me lever d’un bond cherchant l’intrus qui est rentré dans ma cellule, prêt à bondir, à frapper, et il n’y a personne. Et c’est alors que je vais entendre ces paroles qui vont résonner très fort à l’intérieur de moi, comme dans un tunnel, et elles diront : « Il est 2 heures, André, nous avons rendez-vous. » Et alors, je vais bondir vers la porte de la cellule et le surveillant qui va arriver, je vais lui dire : « Mais qu’est-ce que tu viens me parler en pleine nuit, qu’est-ce que tu viens m’embêter ? » Et le surveillant dira : « Je ne t’ai rien dit. » Je dirai : « Mais quelle heure il est ? »« Il est 2 heures. » Je dirai : « Deux heures comment ? »« Deux heures juste. » Alors je vais me retourner dans cette cellule, et j’aurai pas le temps de réfléchir longtemps, car la parole va reprendre encore plus forte intérieurement, elle va résonner comme dans un tunnel dans mes oreilles, et elle dira : « Je suis ton Dieu, le Dieu de tous les hommes. » Alors là, je vais encore tendre le poing et dire : « Mais comment se fait-il que tu peux me parler dans les oreilles alors que je ne te vois pas, que je ne t’ai jamais vu, que je ne te connais pas, mais qui tu es ? Laisse-moi tranquille, va t’en… ou montre-toi ! » Et c’est alors que, du côté de ces barreaux que je voulais tant voir sauter pour une liberté, il va y avoir une belle lumière. Les mots sont trop pauvres pour la décrire : il n’y avait plus de plafond, il n’y avait plus de mur, c’était un ciel dans une cellule. Et là, dans cette lumière, il y a un homme, un homme que je ne connais pas, que je n’ai jamais vu.
Et alors, il va seulement me montrer les mains percées, les pieds percés, un côté percé. Et alors, je vais entendre ses paroles qui seront très fortes, là, dans cette cellule : « C’est aussi pour toi. » Eh bien c’est seulement à ce moment-là que les écailles de mes yeux, lourdes de 37 années de péchés, vont vouloir enfin tomber et que je vais pouvoir voir clair. Et là je vais comprendre en un éclair que je suis pécheur et qu’il est Sauveur. Et pour la première fois de ma vie, je vais courber l’échine, je vais fléchir. Pour la première fois de ma vie, je vais tomber à genoux et je vais pleurer.
Je suis libéré ... du mal
Pour la première fois de ma vie, quelqu’un voulait m’aimer. Et là, à genoux, de deux heures du matin jusqu’à l’ouverture des cellules à sept heures, pendant cinq heures de temps, à genoux, il me faudra faire toute la marche à l’envers de tout le mal que j’avais fait, afin que ça ressorte de moi comme d’un abcès trop mûr. Et tous ces fardeaux, tous ces braquages, tout ce mal, toute cette haine, ces poings tendus, eh bien, c’était ce Jésus, par sa grande miséricorde, par son grand amour, qui était venu là, dans cette cellule, pour m’en libérer, moi qui n’étais que boue et que merde. Et là, à genoux, demandant pardon, je me suis tenu devant lui comme un petit écolier honteux qui ne savait pas sa leçon. Et alors, j’ai compris. J’ai compris les plaies de ses mains, j’ai compris les plaies de ses pieds, j’ai compris la plaie de son côté. Pendant 37 ans j’avais été le clou de ses mains, pendant 37 ans j’avais été le clou de ses pieds. Pendant 37 ans j’avais pris cette lance pour le percer. Et là, devant lui, tête baissée, j’ai demandé pardon.
Les surveillants dans les coursives, monsieur le directeur vont s’affoler et se dire : ça y est, il fait diversion, il veut s’évader. Eh bien, ils avaient raison, je venais bien de m’évader, je venais bien de faire ma dernière évasion, ma dernière cavale avec Jésus-Christ. Et cette évasion là, cette cavale, eh bien c’est la plus belle que j’ai jamais réussie, car cette évasion-là, personne ne pourra l’empêcher, personne ne pourra l’arrêter. C’est une évasion avec Dieu, Jésus-Christ et Marie, pour l’éternité.
Une vie nouvelle
Quand je suis sorti de prison, six ans après − car je suis encore resté six ans dans cette cellule, pour que cet artiste divin, ce Dieu puisse sortir de ce bloc d’athéisme, le petit petit petit témoin que je deviendrai − quand je suis sorti de cette prison, eh bien je voulais être prêtre. Et je ne l’ai pas été, mais ceux qui m’ont dit que le Seigneur ne m’attendait pas derrière les mur d’un séminaire pendant de longues années, avaient raison, car il m’attendait vers le plus pauvre, le plus démuni, le plus petit, car j’étais de la rue, j’étais du Christ pauvre. Et alors, j’ai été dans la rue, vers le petit, vers la prostituée, cette femme mal aimée, vers ce clochard, vers ce drogué. Et après, je suis rentré dans les écoles, parce que les écoles, c’est important. C’est la société, ce sont les apôtres de demain.
Et il y a cinq ans, de nouveau, je suis rentré dans les prisons, revoir mes frères détenus, faire une chaîne d’amitié entre ceux de dedans et de dehors. Voila tout le travail que je fais avec Jésus-Christ, Dieu et Marie.
Texte abrégé, extrait de www.youtube.com/watch?v=HASAAIqDGa4
www.youtube.com/watch?v=_pwpkzwQd6Q
André LEVET « Ma dernière cavale avec Jésus-Christ», Ed. Nouvelle Cité, 1996
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