Lou Tseng Tsian (1871-1949)
- - Siècle : 20e
- - Point de départ : Confucius + Protestantisme.
- - Préoccupation : s’approprier « la force de l’Europe : sa religion ».
- - Porte d’entrée dans la vraie religion : les beaux fruits de l’Église catholique.
Un premier ministre chinois devient abbé bénédictin
Ministre des affaires étrangères et même à deux reprises, premier ministre de la Chine (en 1912 et 1915), Lou Tseng Tsian devient en 1927 moine bénédictin : Dom Pierre-Célestin. Il meurt supérieur de l’abbaye Saint-Pierre à Gand, le 15 janvier 1949. Il avait reçu le baptême catholique à l’âge de 40 ans, le 25 octobre 1911.
Deux voies convergentes l’ont mené à l’Église :
– La politique : « Mon point de départ pour arriver à l’Église catholique est celui de l’homme d’État »
– L’héritage moral de Confucius : « L’esprit du confusionnisme m’a mis en état de découvrir l’évidente supériorité du christianisme et particulièrement de l’Église romaine, cette Église qui contient un trésor. »
La consigne de Xu Jingcheng
Né à Shanghai le 12 juin 1871, Lou Tseng Tsian (ou Zhengxiang) mena d’abord une carrière diplomatique au service de la Chine. Il n’oublia jamais la consigne que lui avait légué son maître en politique, le ministre Xu Jingcheng. Celui-ci avait été chef de mission dans les principaux pays européens et il avait attentivement pesé leurs forces et leurs faiblesses.
« La force de l’Europe ne se trouve pas dans ses armements – lui confia-t-il –. Elle ne se trouve pas dans sa science. Elle se trouve dans sa religion. Observez la religion chrétienne […] Entrez-y, faites-vous disciple et observez la vie intérieure qui doit en être le secret. Lorsque vous en aurez saisi le cœur et la force, emportez-les, et donnez-les à la Chine. »
Mais en 1900, alors qu’il est en poste à Saint-Pétersbourg, Lou apprend que Xu Jingcheng a été condamné à mort pour trahison, et décapité, à Pékin, sur la place du marché, le 29 juillet 1900. (Il sera réhabilité six mois plus tard). Lou en est révolté : « À quoi bon servir des gouvernants aussi mauvais ? » Son chef d’ambassade sait l’apaiser : « Vous vengerez votre maître en restant digne de lui, et en réalisant son programme » .
Piété filiale sans sclérose
Lou raconte:
Je suis fils du confucianisme. À 13 ans, mon père m’envoya à l’École des langues étrangères de Shanghaï, c’est pourquoi je n’ai pas fait les études classiques chinoises traditionnelle. Toutefois, au cours de ma vie, j’ai toujours désiré avoir comme nourriture spirituelle, comme substance de ma substance, la tradition intellectuelle et spirituelle du confucianisme, le culte du Très-Haut, la pratique de la piété filiale, le zèle pour la vertu, tout ce qui constitue l’âme de la race chinoise.
D’emblée, Lou Tseng Tsian a su prendre le meilleur de la tradition de Confucius, mais sans en faire un carcan comme certains mandarins. Pour lui, l’enseignement de Confucius est essentiellement la loi naturelle, commune à tous les hommes, que l’on retrouve plus ou moins chez Aristote, Sénèque ou Cicéron, et bien sûr dans le fameux décalogue : la liste des dix commandements donnés par Dieu à Moïse.
Pourtant, il se rend compte que cette sagesse humaine a ses limites. Elle ne peut suffire à mettre en rapport intime avec Dieu. Elle a besoin d’un complément qui vienne de Dieu lui-même. Et seul Jésus-Christ apporte ce complément :
L’esprit du confucianisme m’a mis en état de découvrir l’évidente supériorité du christianisme et particulièrement de l’Église romaine, cette Église qui conserve un trésor qui, de siècle en siècle, permet aux croyants de toujours puiser des valeurs anciennes et des valeurs nouvelles, trésor vivant qui se développe et fructifie.
La vraie religion reconnue à ses fruits
La conversion de Lou Tseng Tsian n’est pas le fruit d’une spéculation intellectuelle, mais d’une découverte pratique :
Vous vous demandez peut-être comment s’est passée ma première rencontre avec les éléments du dogme catholique et comment j’ai fait pour donner à ce dogme l’adhésion de ma foi.
Je dois déclarer tout d’abord que, à propos du problème de la vie, un disciple de Confucius se méfie de certaines spéculations intellectuelles qui semblent être plutôt des acrobaties de la pensée que la recherche de la vérité et de la sagesse. Devant le mystère de l’au-delà et de tous les problèmes qu’ils comportent, le confucianisme garde une attitude de respect et de réserve, car il se rend compte combien l’imagination peut créer de fantômes et d’idoles de tous genres en ce domaine.
En revanche, les fruits ne trompent pas :
Homme d’action à la recherche du bien, j’ai donc étudié le catholicisme en partant du principe énoncé par Jésus-Christ lui-même : « Vous connaîtrez l’arbre à ses fruits. »
[…] J’ai cru à l’origine divine de l’Église en observant chez elle un caractère humain et surhumain, une coordination et un équilibre moral unique, une puissance de bien inépuisable.
Le culte rendu à Dieu par la liturgie catholique lui paraît particulièrement digne de respect :
Au centre du culte catholique nous trouvons la célébration d'un sacrifice auguste dont le caractère dépasse infiniment ceux de tous les sacrifices par lesquels les autres religions ont essayé d'exprimer les rapports entre l'homme et Dieu et de rendre gloire à Dieu. Ce sacrifice fut institué par Jésus-Christ la veille de sa mort et il commémore sa crucifixion, il en est même le mystérieux renouvellement. Chaque jour, dans l'univers entier, la célébration de la messe réunit autour de plus de trois cent mille autels ceux qui croient à la mort du Seigneur comme principe de leur vie spirituelle. Quand donc un mort a-t-il connu une survivance si profonde, si persistante, si intime, si rénovatrice dans les âmes de centaines de millions d'êtres humains ?
La vie spirituelle qui jaillit du sacrifice de Jésus sur la croix est manifestée et dispensée par l'Église aux fidèles dans les sept sacrements institués par Jésus-Christ comme moyen de grâce. Par le ministère sacramentel, l'Église vivifie et soutient l'homme du berceau à la tombe, et donne à la personnalité humaine, et par elle à la famille et à toute la société, un appui maternel constant. Du seul fait de la messe et des sept sacrements, l'Église catholique fait réfléchir et force l'admiration et le respect.
Pourquoi je suis catholique
Baptisé dans l’Église catholique le 25 octobre 1911, après être passé par le protestantisme, il explique ainsi sa démarche :
Je suis chrétien et catholique parce que la Sainte Église, préparée depuis les origines de l'humanité, fondée par Jésus-Christ Fils de Dieu, illumine et réconforte divinement l'âme de l'homme et donne une réponse définitive à toutes nos pensées les plus élevées, à tous nos désirs les meilleurs, à toutes nos aspirations et à tous nos besoins. Cette lueur véritable répand ses rayons sur notre origine et sur notre destin, sur le sens de notre carrière, sur notre rédemption et sur notre fin.
L'Église chrétienne et catholique, la Sainte Église romaine, est le complément divin, merveilleux et irremplaçable de tout ce que je possédais déjà, de tout ce que je pressentais, cherchais et désirais, et des institutions fondamentales de notre pays, […]
Le confucianisme, qui a des règles de vie morale profondes et bienfaisantes, trouve dans la Révélation chrétienne et dans l'existence de l'Église catholique la plus lumineuse justification de tout ce qu'il possède d'humain et d'immortel. Il y trouve en même temps ce complément de lumière et de puissance morale qui résout des problèmes devant lesquels nos sages ont eu l'humilité de s'arrêter, comprenant que ce n'est pas à l'homme de pénétrer le mystère du ciel et que, en vénérant la Providence céleste, il faut attendre que le Créateur lui-même révèle ce mystère.
Mais il précise aussi :
Ce n’est pas moi qui me suis converti sous quelque influence extérieure ou sur une résolution personnelle. Ma conversion est une vocation. Dieu m’a guidé, m’a appelé. Mon devoir était extrêmement simple ; il m’a suffi de reconnaître ce que je voyais, ce que les faits, les circonstances et la grâce de Dieu me montraient d'une manière si lumineuse ; et devant cette constante et claire vocation il m’a suffi aussi de répondre en accomplissant le premier devoir de ma conscience : obéir à Dieu.
Un appel aux Chinois
Lou Tseng Tsian lance finalement cet appel, qui ne vaut pas seulement pour les Chinois :
Je voudrais dire à mes compatriotes : lisez l’Évangile, les Actes des apôtres, les Épîtres ; lisez l’histoire des persécutions des premiers siècles de l’Église et les actes de ses martyrs ; prenez toutes les pages de l’histoire de l’Église, sans en exclure celles qui sont entachées de la faiblesse d’hommes qui n’ont pas vécu conformément à leurs prédications, prenez aussi les innombrables pages dans lesquelles la charité chrétienne était dispensée et se dispense encore avec une sollicitude maternelle inlassable et souvent héroïque. Faites la part des choses, la part des hommes, celle de Dieu, et vous conclurez que vous vous trouvez en face d’un fait social absolument supérieur et même unique. Alors, peut-être, vous poserez vous la question : « Le Créateur ne s’est-il pas révélé ? »
La foi est un don de Dieu, mais l’acte de foi suppose la connaissance, l’investigation. Observez l’œuvre de l’Église dans les consciences et sa fécondité dans la vie familiale et sociale, civique et politique. Jésus-Christ a dit à ses disciples : « Cherchez avant tout le royaume de Dieu et tout vous sera donné en surplus. » (Mt. 6,33.) Pesez ces paroles : elles indiquent une route sûre vers ce sommet de grandeur humaine et de magnanimité qui est depuis des millénaires l’idéal du confucianisme : pacifier l’univers.
Indépendamment des défauts personnels des membres de l’Église, des erreurs et des fautes qu’ils peuvent commettre, un tel organisme doit être étudié au plus profond de lui-même, doit être respecté et envié par toute une société soucieuse du bien de ces sujets, par tout État jaloux de la grandeur humaine de ses citoyens. Quelle aide incomparable, quel soulagement de responsabilité pour l’autorité civile de voir une telle action s’opérer dans les familles et entre les populations ! Et comme l’autorité civile devrait seconder une institution si féconde pour qu’elle puisse fleurir au cœur des nations pour le plus grand bien de tous !
Bibliographie :
Dom Célestin Lou Tseng Tsian Souvenirs et pensées, 1945 (réédition : DMM)
Pour la petite histoire : Hergé, qui a bien connu Lou Tseng Tsian, l’a fait apparaitre très discrètement dans le Lotus bleu par l’intermédiaire des initiales LTT dans un fac-similé du Journal de Shanghaï à la fin de l’album.
Voir l’article d’André Buyse dans Taiwan Today du 1er mars 2010
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