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Ils ont trouvé la vraie Religion

Convertis de tous les horizons

Gustave COHEN (1879-1958)

-  Siècle : 20e

-  Point de départ : juif agnostique (famille israélite peu pratiquante).

-  Préoccupation : Professeur de littérature médiévale, il veut faire comprendre à ses étudiants le théâtre du moyen âge.

-  Porte d’entrée dans la vraie religion : il fait jouer le Miracle de Théophile (pièce en l'honneur de la Vierge Marie) et comme pour le récompenser, Marie lui obtient la foi.

En dehors de tout culte

          Appartenant à une famille israélite peu pratiquante, j’ai été élevé en dehors de tout culte. Puis ce fut l’agnosticisme total avec, cependant, de longues stations dans les églises à la grand-messe, pour entendre la musique religieuse qui m’émouvait, et voir la pompe des offices, où les gestes lents et larges et les couleurs vives des chasubles des prêtres m’enchantaient.

           Vint la guerre, à laquelle je pris part sur le front français comme aspirant, puis sous-lieutenant d’infanterie au regretté 46e, le régiment de La Tour d’Auvergne. Je fus grièvement blessé à Vauquois en Argonne dans un combat à la grenade dont, aujourd'hui encore, je garde en mon flanc les traces et fragments. Soigné d’abord à l’hôpital de Clermont-en-Argonne et en pleine crise de tétanos, par Sœur Gabriel, celle-ci me dit, quand je revins à moi, que j’avais promis de communier si je guérissais. Insondable mystère !

           A la clinique du Dr Témoin, à Bourges, je fus aux mains d’autres bonnes Sœurs dont l’une était une sainte : pleurant sur l’escalier des douleurs du cancer qui la rongeait, elle entrait ensuite souriante dans la salle des officiers.

          De l’Université de Strasbourg, je passai en 1925 à la Sorbonne, et c’est là, dans un milieu libre penseur qui ne semblait guère s’y prêter, que je devais rencontrer ma révélation.

Le miracle de Théophile (novembre 1932)

          Ce fut à l’occasion d’un texte, le plus ennuyeux de la licence ès lettres, le Miracle de Théophile, de celui qu’on n’appelait pas encore le bon trouvère Rutebeuf, mais qu’on eût plutôt appelé l’empoisonneur (les étudiants disaient autrement). Les sentant un jour particulièrement endormis et insensibles aux beautés du lyrisme médiéval, je leur criai, exaspéré :

           « Cette pièce n’a pas été écrite, entre 1260 et 1264, au grand siècle - le XIIIe - pour mettre à la question les étudiants de 1932 à 1936, mais pour émouvoir ceux du collège récemment fondé par Robert de Sorbon in vico qui dicitur Coupegueule. Si vous vous en partagiez les rôles et les jouiez sur un hourt ou un échafaud, sans doute reprendrait-elle ses couleurs vives de vitrail. »

               Et j'ajoutai - ce dit-on - cette phrase que mes malicieux disciples ont mis en chanson :

               - Nos amphithéâtres ne sont pas faits pour la dissection des cadavres, mais pour la résurection des morts.

            Or, chez quelques-uns d’entre eux le grain avait germé, et au début de février 1933 se présentaient dans mon cabinet attenant à la salle de cours un grand jeune homme long et maigre et une étudiante, petite et ronde, qui me dirent :

           « Maître, nous sommes prêts ; écrivez-nous une adaptation du Miracle de Théophile qui soit compréhensible et, avec nos camarades, nous la jouerons. »

            Un professeur doit aide et obéissance à ses étudiants et, en huit jours, je mis sur pied ce que j’appelais une transposition, respectueuse des rythmes et parfois des rimes de l’original, et assez archaïsante pour donner l’illusion de l'ancien français.

Théâtre en Sorbonne (1933-1939)

           Bientôt après se réunit chez moi, au 16 de la rue Gay-Lussac, ce qu’on appelait jadis la Commission de records pour la lecture de la pièce et la répartition des rôles.

           Arrive le 7 mai 1933, date inscrite dans nos cœurs en caractères flamboyants. C’était à la salle Louis-Liard (celle des Thèses), la moins faite pour une résurrection du théâtre médiéval. Il est 3 heures moins 3, on n’est pas prêt ; Gœtze s’élance criant : «  On ne joue pas, il n’y a pas de coulisses », à quoi je réplique : «  On jouera sans coulisses », les acteurs restant devant leur mansion jusqu’au moment d’entrer dans le jeu sur le proscenium. L’effet fut si beau, de vitrail dont les figures soudain s’animent, que, depuis, nous n’en fîmes jamais.

           Puis la monstre : avec Dieu le Père et ses deux petits anges porteurs de palmes, Notre-Dame pressant la croix d’or sur sa robe blanche, l'évêque et ses trois clercs, Théophile en robe noire, Salatin en robe jaune et coiffé du bonnet phrygien. La représentation se déroule dans le silence et l’émotion contenue des spectateurs, et à la fin, après le Te Deum, les applaudissements enthousiastes éclatent. Alleluia : le théâtre du moyen âge est ressuscité.

            Il le fut surtout lorsque mes étudiants, que le public nomma les Théophiliens, eurent joué le Jeu d'Adam et Ève, la première pièce du théâtre français (fin du XIIe siècle) au portail sud de la cathédrale de Chartres, à l'Ascension 1935.

          Comme, allant à Chartres, j’offrais à Geneviève, qui devait y incarner le rôle d’Ève, de partager notre collation, elle me dit :

          «  Non, maître, car avant de jouer, je veux communier. »

          Quels interprètes que ceux qui, au moment de jouer, prient le Seigneur de les inspirer et qui gardent l’anonymat ! C'est là, parmi les étudiants et étudiantes avec qui je vivais familièrement en communauté d'âme, d'action et d'inspiration, que j'ai compris ce qu'était la foi qui les animait et qui me pénétrait progressivement jusqu'à la moëlle. On disait au Quartier Latin que je communiais avec eux tous les mercredi à Saint-Etienne-du-Mont, où ils se retrouvaient. Ce n'était encore vrai qu'en aspiration et en esprit. Cette tendance profonde se confirma et se renforça dans les cérémonies auxquelles j'assistais avec eux et surtout au Lavandou où, pendant leurs vacances de Pâques, je fis, à leur demande, au feu de camp du soir, la plus belle leçon de ma vie sur le drame liturgique, tandis qu'eux l'illustraient par une représentation improvisée des Pélerins d'Emmaüs.

          Dès alors (ceci se passait à Pâques 1935), mon orientation spirituelle était fixée. Ma compagne, qui était cependant protestante, me disait :

          «  Pourquoi ne vous convertissez-vous pas ? »

          Ceux que j’appelais mes enfants théophiliens me tenaient pour leur père. Il n’y a qu’en France qu’une telle chose soit possible : des enfants chrétiens et un père juif, ne pratiquant aucune religion, mais sentant la présence en lui de Jésus et de Notre-Dame dont il célébrait la geste en trois volets du triptyque qu’il sculptait : Marie-Madeleine (1936), Judas (1937), Notre Dame (1939).

          La guerre (la seconde guerre mondiale, celle que je ne pus faire et que je dus subir) vint interrompre tout cela et empoisonner l’atmosphère de venin hitlérien.

New York (1941-1943)

          Chassé de l’Université et privé de ma chaire de Sorbonne, je m’étais réfugié à Nice. Sur ces entrefaites, les Américains s’étaient émus de mon sort et avaient créé pour moi une chaire à Yale University, équivalente à celle de la Sorbonne.

          Tout cela me rapprocha très fort de Jacques Maritain qui recevait le dimanche dans son petit appartement de la 5e avenue [à New York] et du R. P. Ducattillon [O.P.] que j’aimais particulièrement. Jamais je n’oublierai le froid matin de décembre où Maritain, le P. Ducattillon et moi, nous nous rencontrâmes dans la sacristie de l’église française, l’office qu’il célébra, le Baptême et bientôt la communion, ma première Communion [décembre 1943].

          De quel appétit, de quel mouvement invincible de tout l’être je me tendais vers l’Hostie offerte que je n’osais regarder, mais dont je savais et sentais le contenu divin. Tout moi allait être comblé d’une plénitude ineffable.

          Désormais, je n’étais plus seul ; les prières latines : le Pater, l’Ave, le Credo, le Confiteor, le Veni Creator, auquel je viens d’ajouter le Salve Regina, m’entouraient chaque nuit et m’enveloppaient de leurs harmonies significatives, l’ange gardien devenait une réalité et, demandant peu, j’obtenais beaucoup, tout d’abord la certitude de la foi, dont tous mes livres portaient déjà témoignage.

          Parce que je suis médiéviste et Français, je garde une part royale de mon amour à la Sainte Vierge pour qui notre Moyen Age français, et lui seul, inventa la caresse de ces mots : Notre Dame, qui servent de dédicace à tant de nos admirables cathédrales. Que Notre-Dame du Miracle m’ait en sa sainte garde !

D’après le témoignage de Gustave Cohen publié dans Ecclesia (mars 1951), abrégé par nos soins.

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 ŸŸGustave Cohen est l'auteur de nombreux ouvrages sur la littérature française, notamment La grande clarté du Moyen âge (1943)

 

 

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