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Ils ont trouvé la vraie Religion

Convertis de tous les horizons

André de BAVIER

     -   Siècle : 20e

     -   Point de départ : PROTESTANTISME libéral

     -   Préoccupation : Entrer en relation avec Dieu

     -   Porte d’entrée dans la vraie religion : l’autorité dogmatique instituée par le Christ.

Du protestantisme libéral à la vraie Église du Christ

Je suis né dans le protestantisme.

Je continuais à m’appeler chrétien, mais je ne reconnaissais aucune autorité en dehors de ma conscience et aucune révélation en dehors de l’expérience religieuse. Je reconnaissais dans le Christ une personnalité unique, mais je lui refusais tout caractère surnaturel. D’ailleurs le problème de la divinité du Christ n’avait plus de sens, à notre époque. Dieu n’était-il pas immanent à l’Homme ? Le divin et l’humain ne faisaient-ils pas une seule et même chose ? Imbu sans m’en douter de ce panthéisme qui empoisonne la libre pensée contemporaine, je voyais dans la prière, non pas un acte d’adoration, non pas un appel de la créature indigente au Créateur, mais un excellent moyen d’accumuler en soi les énergies spirituelles éparses dans l’univers.

J’avais perdu au fond toute notion de la transcendance divine et tout sens du surnaturel. Je ne pensais guère aux droits de Dieu. La religion, d’ailleurs, étant essentiellement une vie, peu importe notre Credo, pourvu que nos expériences religieuses soient fortes. Il faut avoir les idées larges, si l’on veut se laisser pénétrer par le souffle de l’Esprit. J’avais donc les idées larges, très larges, et je haïssais d’une sainte haine les « idées étroites », c’est-à-dire les idées traditionnelles. Mon libéralisme avait fait de moi un sectaire à rebours. Disciples de la nouvelle orthodoxie libérale, nous étions, mes camarades et moi, vertueusement scandalisés lorsque nous entendions un pasteur répéter une ancienne formule ou professer pour Jésus-Christ une vénération qui aurait pu se concilier avec le Symbole de Nicée.

Quant au Catholicisme, il incarnait tout ce que nous détestions. L’Église romaine ne faisait-elle pas peser un joug de fer sur les esprits ? Elle était la plus fidèle alliée de toutes les réactions et de toutes les tyrannies. Heureusement l’Eglise mourait lentement, mais sûrement, décrépite et impuissante. L’esprit moderne était incapable de s’intéresser aux quelques rites vieillis qui composaient son culte. J’ignorais du reste parfaitement en quoi consistaient ces rites. Comme je ne comprenais rien aux gestes et aux attitudes du prêtre, la messe, à laquelle j’avais assisté une ou deux fois, m’avait paru une cérémonie artificielle et quelque peu théâtrale ; et je comparais avec orgueil les vaines pompes du catholicisme à notre culte en esprit et en vérité. J’avais, comme presque tous les protestants, des idées absolument fausses sur tous les dogmes du catholicisme et je n’avais jamais songé à les vérifier.

Expérience anglicane

Je partis au printemps 1909 pour la Faculté de théologie anglicane de King’s College (Londres). Je n’oublierai jamais la première impression que fit sur moi le milieu anglican. La chapelle du collège avait plutôt l’aspect d’une église catholique que d’un temple protestant.

Je fus étonné. Je le fus bien davantage lorsque je connus les idées de mes camarades. Leur foi était dogmatique. Ils croyaient, comme les catholiques, à la présence réelle dans la sainte cène qu’ils allaient même jusqu’à appeler la messe. Pour moi, l’Église visible n’était qu’une machine politique et administrative ; pour eux, elle était le corps mystique de Jésus-Christ, son Épouse.

Mon passage à King’s College devait avoir une influence décisive sur ma vie entière. Je ne m’en rendis cependant compte que plus tard. Sur le moment même, mes idées libérales ne furent guère entamées.

J’étais déjà entré en novembre 1909 à la Faculté de Théologie de Paris. Mes tendances protestantes libérales que l’influence anglicane minait sourdement, mais à mon insu, s’étaient encore accentuées en même temps que mon hostilité envers Rome.

Je devins bientôt un des étudiants les plus rationalistes de la Faculté. Uniquement épris de questions sociales, j’abandonnai ma Bible pour les apôtres de la Révolution.

Une crise : face à mon néant

La crise éclata soudain en janvier 1911. Mon être fut secoué jusque dans ses profondeurs ; je fus placé brutalement en face de moi-même et je fus forcé de remettre en question mes idées les plus chères.

J’avais exalté l’existence terrestre ; je n’avais pas su voir que notre vie ici-bas est fragile, éphémère, incapable de satisfaire nos aspirations les plus nobles. Aveuglé par l’orgueil spirituel, j’avais relégué le péché parmi les notions vieillies d’un autre âge ; et voilà que je me réveillais maintenant pauvre et coupable, ayant un immense besoin de l’amour et du pardon de Dieu. Je sentis, soudain le besoin d’un médiateur et d’un Sauveur, et le problème de la divinité du Christ prit pour moi une signification toute nouvelle.

Le protestantisme libéral pouvait convenir, à la rigueur, aux riches et aux heureux de ce monde, mais il s’écroulait devant les grandes réalités de la vie : le péché, la souffrance et la mort.

Je compris que ma plus grande faute avait été de me séparer du Christ. Sans lui, je venais d’en faire la triste expérience, la foi religieuse finissait par se résorber en un vague panthéisme. Je ne savais pas encore si le Christ était l’Homme-Dieu, mais je savais maintenant qu’il était le Chemin, la Vérité et la Vie. Je résolus de me mettre tout simplement, sans parti pris, en présence du Christ des Evangiles et de me laisser enseigner par Lui.

Un travail que je fis à la Faculté sur le culte de la Sainte Vierge au Moyen Age me fit entrer pour la première fois en contact avec la piété catholique. Ce fut pour moi une véritable révélation. Je trouvais dans les méditations et les prières de saint Anselme, de saint Bernard, de saint Thomas, une ferveur, une tendresse, une simplicité, auxquelles je n’étais guère accoutumé. Saint Anselme me fit comprendre la beauté du dogme de la Communion des Saints. Pourquoi n’avais-je pas admis plus tôt cette croyance pourtant si naturelle ? Dieu étant le lien des âmes, les chrétiens trépassés n’étaient-ils pas plus vivants que les vivants et plus près de nous ? Il était dès lors tout simple d’entrer en relations spirituelles avec eux et de leur demander leurs prières.

Je poursuivais cependant ma méditation quotidienne de l’Évangile. Plus je vivais avec Jésus-Christ et plus il grandissait à mes yeux. Non content de renverser toutes les valeurs de ce monde, il avait osé affirmer que personne ne venait au Père que par Lui. Il incarnait quelque chose d’absolu. Je me refusai longtemps à affirmer sa Divinité, de peur de tomber dans le Dogmatisme. Il arriva pourtant un moment où il me fut impossible de me dérober à la question que le Christ me posait comme il l’avait posée à tant d’autres : « Qui dis-tu que je suis ? »

De retour en Suisse, je pris d’abord le catéchisme du Concile de Trente, puis l’excellent manuel de l’abbé Lesêtre, La foi catholique. J’allais de découverte en découverte.

Je dus convenir bientôt que le catholicisme avait un sens extraordinaire du divin. Nulle part Dieu n’était à la fois plus transcendant et plus immanent, plus distant et plus proche.

Il était l’Unique, l’Inaccessible, l’Ineffable. « Je suis Celui qui est, disait Notre-Seigneur à sainte Catherine de Sienne, et tu es celle qui n’est pas. » Et pourtant le Dieu qui échappait à tous les cadres de notre esprit, le Dieu du mystère de la Trinité, était en même temps le Dieu du mystère de l’Incarnation, le Dieu qui avait épousé notre frêle humanité dans la personne du Christ, le Dieu qui continuait à s’unir à nous dans la communion eucharistique et qui habitait dans l’âme en état de grâce.

Les protestants libéraux et les modernistes, en négligeant la transcendance divine, pour insister uniquement sur l’immanence, avaient rapetissé Dieu sous prétexte de rapprocher l’homme de Dieu.

Un problème d’autorité

Le Christianisme était une religion révélée, ou il n’était pas : il impliquait donc un élément dogmatique et jamais les chrétiens n’avaient considéré la religion comme une affaire de pur sentiment. Si le Christianisme était un don de Dieu, une révélation d’En-Haut, il devait nécessairement être une religion d’autorité. Ni la solution protestante, ni la solution anglicane du problème de l’autorité n’étaient satisfaisantes. Toutes les sectes protestantes ne se réclamaient-elles pas de la Bible, et avec un égal droit, puisqu’il n’y avait plus d’interprète autorisé de la Révélation biblique ? Quant à l’anglicanisme, où résidait l’autorité dans cette Eglise nationale, qui renfermait dans son sein des tendances, non seulement différentes, mais contradictoires ? Seule, peut-être, l’Eglise catholique avait-elle une conception de l’autorité capable de résister aux atteintes du temps et de satisfaire les exigences de la raison.

Un angoissant problème se posa dès lors à mon esprit et ne cessa de me hanter pendant de longs mois : « Le Christianisme intégral ne se trouverait-il que dans le Catholicisme ? Le Protestantisme serait-il vicié à sa base ? » J’étais incapable, pour le moment, de répondre. Mais mon devoir était clair : je n’avais qu’à étudier très sérieusement le catholicisme et à redoubler de ferveur dans ma vie religieuse. Trois années de théologie protestante m’avaient imbu de cette idée que la religion du Nouveau Testament était différente de celle du Concile de Trente. Le Christianisme primitif était-il vraiment opposé au Catholicisme ? La question était vitale pour moi. Ce que je cherchais, c’était la religion que Jésus-Christ avait fondée. Je mis toute mon âme à relire le Nouveau Testament, en faisant le plus possible abstraction de toute idée à priori. J’avais déjà été frappé depuis longtemps par le caractère catholique de certains passages des Evangiles et des Épîtres. Je crus voir, en analysant la notion de l’Eglise dans les Épîtres de saint Paul, que le grand Apôtre des Gentils possédait déjà tous les éléments essentiels de la conception romaine de l’Eglise.

Je me mis à la recherche des ouvrages catholiques sur les premiers siècles de l’ère chrétienne. Plus j’examinais le Christianisme du Nouveau Testament et les Pères apostoliques, plus j’étais frappé de sa ressemblance avec le Catholicisme. Mes yeux s’étaient dessillés. La religion du Nouveau Testament était une religion d’autorité, une religion dogmatique qui s’imposait aux hommes comme une révélation surnaturelle, indépendante des jugements humains, supérieure aux fluctuations du temps, absolue et divine. L’Eglise était toujours restée fidèle à elle-même et le Souverain Pontife, en mettant les chrétiens en garde contre le modernisme, n’avait fait que répéter les gestes de saint Paul écrivant à Timothée : « O Timothée, garde le dépôt, évitant les nouveautés profanes de langage. »

L’Eglise : humaine ou divine ?

Lorsque je condamnais comme une véritable abdication la soumission des catholiques à Rome, j’avais toujours oublié que l’Église, aux yeux d’un catholique, n’est pas une organisation administrative, créée par les hommes, faillible et caduque comme eux ; qu’elle est l’Épouse du Christ, qu’elle est animée et dirigée par le Saint-Esprit. J’étais parti d’une fausse anthropologie en concevant l’Eglise comme une barrière interposée entre l’âme et Dieu, empêchant l’âme de communiquer directement avec Dieu. J’avais oublié que l’humanité n’est pas une poussière anarchique d’individus. Les chrétiens sont les membres du corps du Christ et ils ne participent à la vie du Christ qu’en participant à la vie du Corps, ce qui ne les empêche pas d’entrer en communion immédiate avec le Christ. De même que le membre uni au corps subit directement l’action de l’âme qui gouverne le corps, de même le chrétien uni à l’Eglise subit directement l’action du Christ qui gouverne l’Eglise. L’expérience donnait raison au catholicisme, car c’était justement dans l’Eglise romaine que l’on trouvait les âmes qui avaient eu la vision la plus directe de Dieu ; les saints comme saint François d’Assise, sainte Catherine de Sienne, sainte Thérèse, qui avaient reçu d’admirables révélations, se distinguaient également par leur obéissance scrupuleuse à la hiérarchie ecclésiastique. Le dogme lui ouvrait des perspectives infinies ; ce dogme était même d’une telle grandeur que l’Eglise n’aurait jamais été capable de le conserver et de le développer intégralement sans l’assistance du Saint-Esprit. Les hérétiques nous offraient toujours un Christianisme mutilé et racorni ; nos pauvres cerveaux humains ne voyaient jamais qu’un seul côté des choses.

L’Eglise, au contraire, était essentiellement compréhensive. Elle refusait toujours de se placer à un point de vue exclusif. Elle combattait avec une égale vigueur :

  • les Docètes qui niaient l’humanité du Christ ; les Ariens qui niaient sa divinité ;
  • les Pélagiens qui niaient la grâce ; les Calvinistes et les Jansénistes qui niaient le libre arbitre ;
  • les Rationalistes qui niaient la foi ; et les Pragmatistes qui niaient la raison.

La doctrine catholique n’était pas, d’ailleurs, un vague compromis entre plusieurs tendances contradictoires. Plus je l’étudiais et plus j’admirais son harmonie. Tout découlait d’une source unique : Jésus-Christ, et tout tendait à la même fin : la gloire de Dieu. L’unité du dogme n’excluait nullement la diversité des systèmes et les théologiens se divisaient en nombreuses écoles.

Le Catholicisme, loin d’opprimer les intelligences, était donc essentiellement libérateur. Le catholique ignorait ce douloureux divorce de l’intelligence et du cœur qui fait souffrir tant de protestants. Je ne tardais pas à faire moi-même l’expérience de cette double action de l’intelligence sur le cœur et du cœur sur l’intelligence. L’hiver 1911-1912 ne fut pas seulement pour moi une année de travail assidu, mais aussi une époque de vie religieuse fervente.

La grâce de la foi

J’aimais à aller passer des heures entières à la chapelle des Bénédictines de la rue Monsieur. Je n’avais pas encore la foi, mais j’assistais souvent à la sainte messe. Les cérémonies que j’avais jugées vides de sens il y a quelques années, prenaient maintenant pour moi une tragique grandeur. Le catholique n’avait-il pas le privilège d’assister au plus grand drame de l’histoire, la répétition mystique du sacrifice du Calvaire ? Associé à l’action du prêtre, il pouvait même s’offrir à Dieu avec Jésus-Christ descendu dans l’hostie et s’unir étroitement, dans la communion eucharistique, avec la sainte victime. Tous les autres cultes me parurent pauvres lorsque je compris le sens profond du mystère de la messe. Un jour vint où Dieu m’accorda la plus grande grâce de ma vie. Le jour de Pâques 1912, lorsque le prêtre éleva l’hostie consacrée, il me fut donné de croire. J’adorai le Dieu fait homme, qui continuait à habiter parmi nous sous les voiles du pain eucharistique.

Ma conversion était virtuellement achevée. Mes amis protestants tentèrent un dernier effort et me recommandèrent un livre anonyme qui venait de paraître sous ce titre : Ce qu’on a fait de l’Église. Ce volume, qui fourmille d’erreurs et de contradictions, est un acte d’accusation contre l’Église et ses dirigeants. J’avoue que cette longue énumération de scandales ne me fit aucune impression. Il y avait eu de mauvais prélats et même de mauvais papes. Il y aura toujours des scandales dans l’Eglise. Comment en serait-il autrement ? L’Eglise est divine, mais elle est composée d’hommes pécheurs. Dieu a promis l’infaillibilité au pape, mais il ne lui a pas promis l’impeccabilité. Dieu nous demande notre collaboration, mais il nous laisse toujours libres de la lui refuser. C’est cette collaboration de Dieu et de l’homme qui constitue le drame de la vie de l’Eglise ; et le grand miracle de l’histoire, c’est que l’Eglise ait pu vivre et se développer malgré les chrétiens.

La conversion ne tarda pas à devenir pour moi une impérieuse obligation. J’avais été conduit du protestantisme libéral au christianisme des Evangiles. Et je voyais clairement maintemant que la religion des Evangiles et le catholicisme étaient une seule et même chose. Le protestantisme orthodoxe et même l’anglicanisme n’étaient que des réalisations imparfaites de l’idéal chrétien. Seule l’Eglise catholique était restée fidèle au Christ et la glorieuse liberté des enfants de Dieu ne se trouvait que dans la soumission au Vicaire de Jésus-Christ.

Mon entourage m’ayant demandé d’attendre quelques mois avant de faire le pas décisif, je ne fus reçu dans l’Église que la veille de la Toussaint 1912, dans le couvent dominicain du Saulchoir.

André DE BAVIER   « De Genève à Rome, par Cantorbéry », (texte abrégé)

 

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André de Bavier sera ordonné prêtre le 21 Avril 1924. Devenu chanoine de Saint-Maurice, il meurt le 19 Juin 1948.

NB. Sur le protestantisme voir aussi : Marie CARRE : J'ai choisi l'unité